PARTIE TROIS - Café Haïtien: de favori à oublié

La raison pour laquelle les gens sont surpris que nous offrons un café haïtien est principalement parce qu’ils ne connaissent pas l’histoire du commerce de café en Haïti. Il existe plusieurs facteurs qui, lors des deux derniers siècles, ont considérablement influencé la popularité du café haïtien, notamment le rôle de la France et des États-Unis (voir parties 1 et 2 pour plus de contexte). 

L’instabilité économique et politique n’est pas uniquement responsable pour la perte de popularité du café haïtien; la déforestation à grande échelle contribue également à réduire la production de grains arabica typica. Ironiquement, les forêts vierges qui échappent à la déforestation sont utilisées pour fournir l’ombre protectrice nécessaire aux caféiers.  

Lors du début de l’ère coloniale (XVIe siècle), la majorité des forêts de la ville de Saint-Domingue ont été coupées à blanc pour laisser l’espace aux cultures de plantation tel le sucre et le café: ces monocultures nécessitèrent une grande portion des terres agricoles. C’est pendant cette période que le café fût cultivé selon les principes de production des colonisateurs français, c’est-à-dire qu’il était cultivé en plein soleil au lieu d'à l’ombre partielle. Cette méthode de cultivation est un exemple des connaissances agricoles traditionnelles africaines du café que les colonisateurs ignorèrent, contribuant ainsi à des récoltes de café adéquates mais pas optimales. L’application de ces connaissances traditionnelles commença finalement un siècle plus tard, soit après l’indépendance d'Haïti en 1804. Environ deux tiers de la population de Saint-Domingue est née sur le continent africain: la nouvelle colonie française dépendait énormément de l’enlèvement des citoyens africains pour fournir sa force de travail. Une fois indépendants, plusieurs agriculteurs haïtiens ont choisi de changer leur méthodes de cultivation pour prioriser l’application de leurs connaissances traditionnelles. 

Bien que les haïtiens aient gagné leur indépendance, les propriétaires colonisateurs continuaient de refuser de leur vendre les meilleures terres agricoles car elles étaient propices pour la cultivation du sucre. Cela a fait en sorte qu’une majorité des propriétaires noirs ont dû acheter des terres agricoles considérées “indésirables” dans les endroits montagneux d'Haïti. Le café pousse quand même très bien en altitude élevée: cette découverte a permis à plusieurs agriculteurs de cultiver avec un peu de succès leurs propres caféiers dans les montagnes. Par contre, il manquait d’arbres pour fournir l’ombre partielle nécessaire aux caféiers, un problème aggravé en grande partie par la déforestation pour l’exploitation commerciale des forêts en vue de la production des produits en bois. Les petits agriculteurs et les fermiers à faible revenu ont subi plusieurs pressions économiques et en conséquence ont étés forcés à abattre leurs propres arbres soit pour créer du charbon dans l’objectif de le vendre aux marchés locaux, ou pour remplacer leur caféiers avec des cultures de subsistance (et ce en particulier lors du régime brutal de Duvalier, et les nombreux embargos). 

Après avoir considéré le contexte historique et sociopolitique des impacts économiques, politiques et écologiques d’Haïti depuis les deux derniers siècles, nous pouvons comprendre clairement comment le commerce du café haïtien a pu se transformer de produit de haute demande à l’internationale (en particulier chez les européens) en produit principalement domestique. Ces impacts se manifestent encore au XXIe siècle: en 2010, il est rapporté que 64% de la production de café en Haïti est pour son commerce local et 28% pour son commerce informel avec la République Dominicaine. Le déclin de l’exportation du café s’explique aussi par les effets à long terme de la déforestation, tel que l’ombre insuffisante qui empêche toujours le succès agricole des producteurs de café. 

Selon The World Bank, l’Haïti a moins de 1.5% de ses terres sous l’ombre des arbres, presque exclusivement dans les régions de production de café. Cela implique que le reste des arbres dépendent du café pour leur survie alors que les caféiers dépendent de l’ombre fournie par les forêts qui restent.

La déforestation amplifie les effets du changement climatique et rend l’Haïti vulnérable aux catastrophes naturelles, plus vulnérable même que son voisin la République Dominicaine. Puisque cette dernière compte 28.4% de ses terres sous un couvert forestier, elle est par conséquent moins affectée par les tremblements de terre, les tempêtes tropicales, les glissements de terrain, l’érosion des sols et le réchauffement climatique. La hausse des températures est particulièrement dévastatrice pour la variété de café arabica typica, la variété responsable pour la popularisation du café haïtien au XVIIIe siècle. À cette époque, l’arabica d’Haïti était réputée pour son goût sucré et sa texture veloutée. De nos jours, plusieurs pays cultivent et exportent la variété arabica, mais l’Haïti retient sa renommée pour son café car ses caféiers arabica sont ancestraux, une désignation qui met en valeur la vieillesse génétique les grains de café cultivés sans modifications génétiques.

Comment le café d'Haïti reçut-il cette désignation? L’origine du café en Haïti peut être retracée jusqu’au premier caféier transporté aux colonies françaises de Saint-Domingue, Martinique et Guadeloupe par Gabriel DeClieu. Lors de la colonisation d’Indonésie par les Pays-Bas, Nicolaes Witsen, l’administrateur de la Dutch East India Trading Company, importa trois caféiers de l’île de Java jusqu’à l’Amsterdam Hortus Botanicus. Une de ces trois plantes fut un cadeau pour Louis XVI qu’il choisît ensuite de présenter dans le Jardin royal des plantes à Paris. C’est cette même plante qui fut transportée par Gabriel DeClieu aux colonies françaises pour sa cultivation. Aucune autre variété de café poussait en Haïti avant celle de Gabriel DeClieu, et donc aucune autre variété aurait pu avoir une influence génétique sur les générations suivantes. Le café d’Haïti est donc une variété ancestrale.

Malheureusement, la variété arabica typica d’Haïti fut victime de plusieurs pestes dévastatrices tel le scolyte et la pourriture des racines de caféiers. Dans les années 1980, le scolyte, un insecte qui ronge l’écorce des caféiers, dévasta les récoltes de café en Haïti. En 2012, 80% du reste des caféiers furent détruits par la rouille des feuilles de café. Depuis ce temps, la variété arabica typica commença à se faire remplacer par d’autres variétés de cafés plus résistantes aux pestes, tel la variété catigua et “blue mountain”. 

Tout n’est pas perdu pour le café haïtien : des organismes à but non lucratif comme Singing Rooster comprennent l’urgence de reboiser l’Haïti, pas seulement pour ses caféiers mais aussi pour réduire l’impact du changement climatique dans le pays. En investissant dans le café haïtien et en travaillant sur place avec des organismes à but non lucratif, cela bénéficie les fermiers et petits producteurs, améliore l’infrastructure et aide à produire du café de qualité supérieure.

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